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Un omnipraticien sanctionné pour son attitude envers une personne trans


Le médecin de famille a répété au patient qu’il est biologiquement une femme, alors que celui-ci lui demandait explicitement de le désigner en utilisant le genre masculin.


« Le médecin a l’obligation de s’assurer que la relation médecin-patient est humaine, c’est-à-dire empreinte d’écoute, de respect des valeurs, des croyances et des attentes raisonnables du patient et dans la mesure du possible, de sa volonté et de ses préférences.»

Le Dr Raymond Brière a contrevenu à cette exigence formulée par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ) en ignorant l’identité de genre revendiquée par un de ses patients.

L’omnipraticien montréalais a de plus mis fin au suivi médical de celui-ci, de manière abrupte et en refusant de le diriger vers un confrère.

Deux fautes professionnelles qui lui valent deux radiations, de trois mois et de deux mois, à purger simultanément.

 

Dans sa décision rendue le 3 janvier, le Conseil de discipline constate que la conception patriarcale du rôle du médecin qui prévalait autrefois n’a plus sa place dans une société qui valorise dorénavant les libertés individuelles et les droits de la personne.

« Dans ce contexte, le médecin doit prendre les moyens pour favoriser l’établissement d’une relation plus équilibrée en ayant à l’esprit que son objectif premier est le bien-être de son patient. (…)

Concrètement, cela signifie que si le patient estime que son identité de genre ne correspond pas au sexe figurant à son acte de naissance, il peut demander qu’on le désigne par l’identité qu’il exprime», affirme le Conseil, ajoutant que le respect de cette identité de genre «permet de s’assurer que le patient reçoit un traitement égalitaire conformément à l’interdiction de discrimination fondée sur l’identité ou l’expression de genre» énoncée à l’article 10 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne.

 

L’objet du litige concerne une consultation qui s’est déroulée le 17 mai 2022 au Groupe de médecine familiale universitaire (GMF-U) du CLSC d’Hochelaga-Maisonneuve.

Une rencontre enregistrée par le patient sur son cellulaire, à l’insu du Dr Brière.

Cela faisait alors quatre ans qu’il était le médecin attitré de cette personne, qui lui a été référée comme patient vulnérable par le GAMF, le guichet d’accès à un médecin de famille.

Ce jour-là, son patient l’informe d’emblée qu’il a commencé depuis un an une transition sociale auprès de sa famille, de son employeur, de ses amis et qu’il a changé de pronom.

Il précise qu’il vient le voir afin de passer à la prochaine étape, la prise d’hormones, et qu’il s’est déjà renseigné à ce sujet auprès d’associations qui soutiennent les individus trans.

 

Le Dr Brière lui avoue qu’il a peu d’expérience avec les personnes trans.

Il n’en suit aucune et reconnaît n’avoir jamais prescrit d’hormones à une personne qui veut «se transformer en monsieur », peut-on lire dans la décision.

Le praticien expérimenté — il est inscrit au tableau de l’Ordre depuis 1980 — indique toutefois au patient que son caractère va changer avec la prise de testostérone.

L’intéressé lui répond qu’il s’agit d’un stéréotype. Le médecin réplique en frappant du poing sur sa table à deux reprises pour illustrer les comportements agressifs possiblement liés à la prise d’hormone mâle.

« C’est un gros stéréotype, ça aussi», réitère le patient.

 

Alors qu’il souhaite utiliser un gel de testostérone « pour favoriser une transformation lente et progressive de son corps », le Dr Brière lui explique que certaines femmes utilisent de l’Androgel pour mieux diriger un conseil d’administration et communiquer le message non verbal « Heille les boys, c’est moi la patronne! ».

Il affirme ensuite avec conviction « que oui, les petits garçons se chicanent plus que les petites filles dans une cour d’école, ça c’est l’effet de la testostérone. Donc ça, on ne peut pas nier ça là.

Donc, ça peut amener un changement de caractère, ça c’est sûr ». Un nouveau « cliché », selon le patient.

 

Joute verbale

La discussion va s’envenimer à propos de l’usage de l’Androgel, sur lequel le médecin donne des explications sur la posologie et le mode d’administration recommandés pour les femmes.

Le patient lui rappelle qu’il est un homme trans. Le Dr Brière rétorque qu’il est génétiquement une femme.

Le patient répète qu’il se considère comme un homme trans.

L’omnipraticien objecte que si une analyse chromosomique était réalisée, il serait démontré que ses chromosomes sont porteurs des gènes XX et non XY. Le patient insiste.

« Oui, ça c’est dans votre cerveau », répond le clinicien du tac au tac.

 

La tension monte encore d’un cran lorsque le Dr Brière dit à son interlocuteur qu’il le trouve « pas mal sur la défensive » et qu’il a l’impression que sa conduite est scrutée depuis le début de la consultation.

Le patient lui reproche ipso facto son attitude réfractaire et son comportement agressif, ainsi que son discours qui témoignerait des opinions toutes faites sur les personnes trans formulées parfois par les médecins.

« C’est parce que votre cercle, c’est la vérité absolue », rétorque l’omnipraticien.

 

Sous le coup de l’émotion, le Dr Brière finit par s’exclamer « allez-vous-en, allez-vous-en!», puis affirme qu’il n’a pas de leçon à recevoir d’une patiente.

« Par un patient », se fait-il corriger. Le médecin persiste: « Une patiente jusqu’à ce jour, vous étiez une femme, chère madame ».

Le patient répète « par un patient », ce à quoi l’omnipraticien répond qu’il est « biologiquement une femme » avant de lui demander de prendre congé.

Le patient réclame alors la référence dont ils ont préalablement discuté afin d’obtenir une consultation avec un médecin du GMF-U spécialisé dans les transformations de genre.

Le Dr Brière l’invite alors à se débrouiller tout seul. Le patient insiste.

« Vous la ferez vous-même votre référence! Fin de recevoir », répond l’omnipraticien qui l’informe qu’il ne veut plus être son médecin de famille.

« C’est fini parce qu’il n’y a pas de confiance. Trouvez-vous un autre médecin. »

 

« C’est rendu la patiente qui analyse les faits et gestes d’un MD »

À sa sortie du bureau, le patient prend son cellulaire et met fin à l’enregistrement de la rencontre de façon à ce que le clinicien sache que la conversation a été enregistrée.

 

Au terme de la consultation, le Dr Brière rédige la note suivante dans son DMÉ:

« Veut une transformation. Ne fait qu’interpréter mes interventions. Je suis selon elle non réceptif.

Se dit un homme trans et n’accepte pas que biologiquement elle est une femme et est insultée par mon comportement. Je lui fais part des E2 de la testostérone dont celui sur le caractère.

N’accepte pas mes remarques ce n’est que des stéréotypes selon elle et pourtant j’ai une longue expérience avec ANDROGEL.

Rien à faire. ENREGISTRE SUR SON CELL notre conversation ce qui est illégal. BRIS DE CONFIRNACE ABSOLU donc je la remercie sur le champ et doit se présenter sur le sans RDV de dr Picard le seul qui s’occupe au CLSC des transformations. Se retrouver un autre MD traitant car c’est rendu la patiente qui analyse les faits et gestes d’un MD =NON RECEVABLE. »

 

Convaincu que ses interactions avec le médecin ont été « agressantes et dures » et que ce dernier a « violé sa dignité » en ne respectant pas son identité de genre, le patient dépose une plainte cinq jours après devant le commissaire aux plaintes du CIUSSS de l’Est-de-l’ Île-de-Montréal, dont dépend le GMF-U.

Il allègue que le Dr Brière a fait preuve de discrimination et d’agressivité et qu’il a refusé de lui dispenser les soins requis.

 

Insatisfait des conclusions formulées par le commissaire du CIUSSS, qui a recommandé à l’omnipraticien d’améliorer ses habiletés de communication et de s’inscrire à un atelier portant sur la relation avec les patients difficiles, le patient adresse par la suite une demande d’enquête au bureau du syndic du Collège qui a abouti à la plainte examinée par le Conseil discipline.

 

À l’audience, le médecin plaide coupable et se défend en expliquant que « l’attitude du patient, qui se présente au rendez-vous du 17 mai 2022 en enregistrant la rencontre et en ayant une certaine méfiance à le consulter pour convenir d’un plan de traitement d’hormones masculinisantes, dénote au mieux, une problématique ou l’inexistence de la confiance mutuelle nécessaire à la relation professionnelle ».

 

Un lien de confiance à la charge du médecin

Dans leur décision, ses pairs lui rappellent cependant que l’article 18 du Code de déontologie est sans équivoque: « c’est au médecin qu’incombe l’obligation de chercher à établir et à maintenir avec son patient une relation de confiance mutuelle et non à ce dernier ».

Soulignant le caractère répétitif du refus du Dr Brière de désigner le patient par le genre dont il se revendique, ils ajoutent que « la relation professionnelle médecin-patient ne peut justifier la transgression des règles de moralité, de bonne conduite et de droit de notre société ».

Le Conseil de discipline signale par ailleurs que l’écoute attentive de l’enregistrement montre que le patient a une attitude respectueuse.

« Son ton de voix et les mots qu’il utilise lors de leurs échanges sont en tout temps adéquats.

Rien n’indique que le patient est “difficile”, c’est-à-dire exigeant, tatillon, scrupuleux ou angoissé.

Au contraire, il reste calme et écoute (l’omnipraticien) la plupart du temps.»

À l’inverse, il considère que ce même enregistrement « soulève des préoccupations au niveau des qualités personnelles (du Dr Brière) — comme la capacité d’humilité à reconnaître ses limites, d’écoute, d’empathie, d’introspection et de conscience de ses biais cognitifs ainsi que la maîtrise des émotions — et de sa perception plus paternaliste du rôle que le médecin est appelé à jouer auprès du patient ».

 

Pour le Conseil, l’attitude de fermeture démontrée par le Dr Brière est « objectivement grave », car elle risque de discréditer la profession en fragilisant la confiance que le public accorde en général aux médecins.

Sa décision rappelle ainsi que « pour que le médecin soit digne de foi, il doit engager un véritable dialogue avec le patient afin de tenter d’établir conjointement le plan de traitement qui convient le mieux à la situation de ce dernier.

À cette fin, il doit éviter les pièges des biais cognitifs, des stéréotypes et des opinions préconçues tout comme le fait de chercher à tout prix à convaincre le patient qu’il a tort ou à lui faire la morale.

Clairement, ces comportements et une attitude de confrontation de la part du médecin constituent des obstacles à la communication et minent la confiance du patient ».

« Le médecin qui ne peut plus assumer le suivi médical requis chez un patient doit, avant de cesser de le faire, s’assurer que celui-ci peut continuer à obtenir les services professionnels requis et y contribuer dans la mesure nécessaire. » - article 35 du Code de déontologie

 

S’agissant de l’obligation de suivi, prévue par l’article 35 du Code de déontologie et dont le Dr Brière ne s’est pas acquitté, le Conseil juge également qu’il s’agit d’un manquement grave « compte tenu du contexte actuel de pénurie de médecins prévalant au Québec ».

Il rappelle que cette exigence a pour but d’éviter que « le patient soit démuni, laissé à lui-même et privé des services professionnels auxquels il a droit en raison notamment du manque d’expérience ou de connaissances du médecin concernant une problématique de santé ou un traitement particulier, ainsi que des décisions et convictions personnelles du médecin ».

Le Dr Brière, qui n’avait aucun antécédent disciplinaire, a jusqu’au 10 février 2024 pour éventuellement faire appel de cette décision.

 

ENREGISTREMENT LÉGAL OU ILLÉGAL?

Selon une note du cabinet Lambert avocats, il est « interdit en vertu de la loi d’enregistrer une communication privée, c'est-à-dire lorsque vous ne faites pas partie de la communication ».

En revanche, « si une personne est partie à une conversation, elle n’est plus un tiers à la conversation.

Si la personne n’est plus un tiers à la conversation, il ne s’agit pas d’une communication privée ». 

Elle peut alors enregistrer son interlocuteur sans avoir à lui mentionner, « en autant que l’enregistrement ne constitue pas une intrusion dans sa vie privée ».

En l'occurrence, le patient pouvait donc enregistrer sa conversation avec le Dr Brière.

 

 

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