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Trans et fière future secrétaire

Publié le 28 Fév. 2019, par Elyse Perreault.


Au début de la cinquantaine, elle décide enfin de s’affirmer et retourne aux études apprendre le métier dont elle a toujours rêvé!

Enfermer son passé masculin à double tour et jeter la clé pour tout recommencer : voilà ce qu’Emmanuelle Demers a eu le courage de faire à 49 ans. Deux ans plus tard, elle ne regrette rien du grand saut qui l’a libérée d’un lourd secret trop bien gardé.

En pleine transition pour affirmer son identité féminine à part entière, elle en profite pour renouer avec ses ambitions. Parmi celles-ci, un rêve qu’elle a toujours caressé : devenir secrétaire.


De retour sur les bancs d’école à 51 ans, elle est fière de pouvoir enfin incarner son identité et accepte de se confier à Secrétaire-Inc. Son objectif? Sensibiliser jeunes et moins jeunes à la réalité de la transidentité, et encourager ceux concernés par la dysphorie de genre à consulter sans attendre un spécialiste de la santé trans, plutôt que de s’isoler.

Un demi-siècle à faire « comme si » …

À dix ans, Emmanuelle raconte avoir dit à sa mère qu’elle aimerait devenir secrétaire, mais s’être fait répondre qu’il ne s’agissait pas d’un emploi adéquat pour un garçon. Bien que cette aspiration se soit confirmée au fils des années, elle affirme l’avoir refoulée pour se tourner vers des métiers plus typiquement masculins, en rejoignant notamment les rangs des Forces armées pour ensuite devenir électricien, puis camionneur.


« Disons que j’étais loin du métier de secrétaire! » lance-t-elle en riant.

Parallèlement à sa vie professionnelle, Emmanuelle a été mariée à deux femmes et a eu trois enfants, maintenant adultes.

« Je suis devenue un gars par imitation, pas par conviction », dit-elle.


Une lumière au bout du tunnel

Maintenant établie à Montréal, Emmanuelle se donne enfin le droit de briller, toujours souriante et pomponnée. Depuis l’été 2018, elle étudie en secrétariat et comptabilité à l’Emica.

« J’ai toujours su que ce métier était fait pour moi, dit-elle. J’aime me sentir utile, voire indispensable, et sentir que j’aide vraiment les gens. Cette profession requiert beaucoup de structure et d’organisation, deux de mes grandes forces. »

Emmanuelle souligne qu’elle ne se serait pas permise de concrétiser ce rêve en tant qu’homme en raison des nombreux préjugés encore véhiculés par notre société. Elle déplore cette réalité, croyant que beaucoup d’hommes pourraient se réaliser dans cette profession.

Bien qu’elle reconnaisse qu’un retour aux études à son âge constitue un gros défi, son enthousiasme rayonne par ses bons résultats scolaires. D’ailleurs, ses professeurs l’encouragent dans sa démarche et lui demandent régulièrement d’aider ses collègues de classe. Consciente que son apparence et son physique imposant peuvent attirer l’attention, elle se réjouit de s’être sentie accueillie et respectée par les enseignants et étudiants dès la rentrée.

« Une fois qu’on s’accepte comme on est, toutes les barrières de l’image s’effondrent! »


Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’histoire d’Emmanuelle n’a rien de conventionnel!

Dès son enfance, la Sherbrookoise avait l’impression viscérale d’être née dans une identité de genre qui n'était pas celle ressentie.

« J’ai découvert qu’Emmanuelle était en moi quand j’avais à peine cinq ans, dit-elle, d’entrée de jeu. J’ai toujours su que j’étais une femme emprisonnée dans un corps d’homme. »

En secret, elle méprisait son apparence masculine et son nom de garçon.

« Enfant, il m’arrivait d’enfiler des vêtements de femme en cachette, se souvient-elle. J’ai continué à le faire de plus en plus souvent au fil du temps, tout en niant ce qui se passait, même si au fond de moi, je le savais…»

Ce combat aura tôt fait de l’entraîner dans le tourbillon de l’alcool et de la drogue pour engourdir sa souffrance, jusqu’au jour où elle ne trouvait plus la force de continuer à faire « comme si ».

« C’était la transition ou le suicide. Je ne voyais pas d’autres options », dit-elle avec émotion.

Cela dit, le matin où elle avait prévu de passer à l’acte, ses responsabilités paternelles lui ont permis de s’accrocher et d’aller consulter.

« Je me suis enfin décidée. Après une heure d’évaluation, le psychiatre m’a annoncé que je souffrais de dysphorie de genre. La délivrance de donner un nom à ma souffrance! »

Son processus de transition s’est alors enclenché: garde-robe féminine, maquillage, hormonothérapie, changement de nom et démarches pour devenir secrétaire… Plus question de reculer, malgré une rupture, une faillite, une perte d’emploi et certaines amitiés brisées.


Nouveau départ

Après avoir complété sa formation en octobre prochain, Emmanuelle compte démarrer sa propre entreprise en secrétariat et comptabilité.

« La gestion des finances et de la paperasse d’une entreprise est complexe, mais mes apprentissages vont me permettre de bien gérer la pression », souligne la future secrétaire.

En parallèle, celle-ci attend impatiemment l’intervention chirurgicale qui arrimera enfin son anatomie à son identité. Malgré certains jours plus gris, elle se dit fière du parcours accompli et entrevoit la suite avec optimisme.




Je me permets d'ajouter à la suite de ce témoignage d'Emmanuelle ce texte sur certains enjeux de la transidentité, enjeux d'emploi, malgré les avancés des droits des personnes trans et non-binaires, enjeux qui demandent encore beaucoup de travail de sensibilisation et de démystification auprès des employeurs et des collègues.


L’enjeux en chiffres


La précarité et la vulnérabilité des personnes transgenres sur le marché du travail sont des réalités bien présentes au Canada.

Près de chez nous, une étude récente menée en Ontario auprès de la communauté transgenre (voir : Transgender People in Ontario, Canada. Statistics to Inform Human Rights Policy, Trans PULSE Project Team, 2015) l’illustre de façon claire. Selon cette étude, 18 % des personnes transgenres sondées se sont vu refuser un emploi pour des raisons d’identité de genre, 13 % ont déjà perdu un emploi pour ces mêmes raisons et 34 % disent avoir été victimes de harcèlement verbal ou physique au travail. Cela pourrait expliquer pourquoi près d’un quart des personnes transgenres en milieu de travail n’osent pas afficher ou dévoiler leur identité de genre auprès de leurs collègues.


Coté de la loi

La discrimination basée sur le fait d’être une personne transgenre est prohibée depuis plusieurs années et est assimilée, par les tribunaux canadiens, à de la discrimination basée sur le sexe. Néanmoins, l’ensemble des provinces canadiennes, à l’exception du Nouveau-Brunswick, a d’ailleurs récemment réaffirmé sans équivoque la protection octroyée aux personnes transgenres en ajoutant expressément dans leurs législations «l’expression et/ou l’identité de genre» comme motifs prohibés de discrimination. Le législateur fédéral a fait de même par l’adoption du projet de loi C-16, ajoutant au Code criminel et à la Loi canadienne sur les droits de la personne des références directes à l’identité et à l’expression de genre.

Plus particulièrement, dans les milieux de travail au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne accorde certaines protections aux personnes transgenres. D’abord, la Charte interdit notamment à l’employeur toute discrimination sur la base de l’identité ou de l’expression de genre dans l’embauche, la formation et la promotion d’une personne, ou comme motif de fin d’emploi. L’employeur doit aussi assurer en tout temps le droit à la vie privée, à la confidentialité et à la dignité de tout employé. En outre, le droit à l’égalité sans discrimination basée sur le sexe et de façon plus contemporaine, sur l’identité et/ou l’expression de genre, impose à l’employeur le devoir d’accommoder, si nécessaire, un employé transgenre. Bien qu’il n’existe aucune définition exhaustive de l’obligation d’accommodement, celle-ci exige habituellement que l’employeur ajuste, modifie ou adapte une norme d’emploi ou une tâche afin de permettre à l’employé de fournir sa prestation de travail.

Une limite existe toutefois à l’obligation d’accommodement : la contrainte excessive. Encore ici, la jurisprudence ne définit pas précisément ce qu’est une contrainte excessive. Il est généralement admis que cette dernière s’évalue notamment selon le poids financier et/ou l’impact organisationnel que la mesure d’accommodement pourrait avoir sur l’employeur. La taille de l’organisation, sa capacité de payer et les conditions économiques viendront normalement influer sur la qualification d’une contrainte. C’est donc dire que l’obligation d’accommodement peut ne pas être de même intensité pour une multinationale dotée d’un service complet de ressources humaines que pour une PME comptant en tout et pour tout une vingtaine d’employés. Or, de façon générale, payer un employé pour du travail non effectué ou pour du travail qui ne satisfait pas les normes de l’entreprise, devoir créer un nouvel emploi, porter atteinte aux droits des collègues de travail et tout accommodement qui engendrerait un risque sérieux pour la santé et pour la sécurité d’un employé sont des contraintes dites excessives. Par opposition, une mesure d’accommodement qui pourrait susciter un malaise ou un inconfort chez les autres membres du personnel ne constitue généralement pas une « contrainte excessive ».

Il va sans dire que l’employé se doit de collaborer et de communiquer avec son employeur et, le cas échéant, son syndicat, afin de faciliter l’identification et la mise en oeuvre des mesures d’accommodement appropriées à sa situation.


Conseils et astuces pour y voir plus clair

Plusieurs enjeux potentiels sont à prévoir lorsqu’il est question d’inclusion et d’accommodement d’une personne transgenre en milieu de travail. Les conseils qui suivent se veulent généraux et devront être adaptés en fonction de la volonté ou des besoins de tout employé transgenre et des moyens à la disposition de l’employeur. En toutes circonstances, l’employeur doit tenter de minimiser autant que possible les barrières qui pourraient être présentes dans le milieu de travail et éviter les effets négatifs sur toute personne vulnérable. Le premier conseil est probablement une évidence : s’assurer que le lieu de travail soit inclusif et exempt de harcèlement. Il importe de rappeler que la Loi sur les normes du travail protège tout salarié contre le harcèlement psychologique au travail. L’employeur doit donc prendre les moyens raisonnables pour le prévenir et, au besoin, le faire cesser. L’instauration d’une politique contre le harcèlement psychologique ainsi que la sensibilisation des employés aux enjeux relatifs à la diversité de genre et à l’inclusion sont généralement des moyens de prévention efficaces. D’autre part, il est possible qu’un employé demande de changer de nom au travail. D’abord, l’employeur est obligé de changer le nom de l’employé lorsque le changement légal de nom de ce dernier est effectif. L’employeur est aussi tenu d’utiliser le nom légal de l’employé lorsque la loi l’exige, entre autres pour l’ensemble des documents liés à la paye ou à un ordre professionnel. Or, il se peut qu’un employé ayant obtenu le changement légal de son nom ne soit pas prêt à dévoiler sa nouvelle identité à ses collègues. Le cas échéant, la confidentialité est de mise et l’ancien nom de l’employé devrait être utilisé autant que possible pour le désigner, et ce, jusqu’à ce que l’employé soit prêt à dévoiler sa nouvelle identité à ses collègues. Il est aussi possible qu’un employé demande de changer de nom avant d’avoir effectué un changement de nom légal. Dans ce cas, et sans égard à tout traitement médical, chirurgie ou document légal attestant de son identité ou expression de genre, l’employé devrait pouvoir être désigné selon le nom désiré et son identité de genre ressentie sur les documents d’identification de l’entreprise et dans les registres corporatifs sauf si, tel que mentionné précédemment, le nom légal est exigé par la loi. Ensuite, l’utilisation de salles de bain, vestiaires ou tout autre service « genré » peut aussi être un enjeu potentiel. Dans la mesure du possible, l’employé devrait avoir accès aux salles de bain, vestiaires et services qui correspondent à son identité de genre. Dans l’éventualité où un collègue de travail serait préoccupé par le fait qu’une personne transgenre utilise la même salle de bain ou vestiaire que lui, l’employeur pourrait accommoder ce collègue en lui permettant d’utiliser une salle de bain ou un vestiaire différent. Lorsque confronté à une revendication, il est important pour l’employeur de considérer la balance des inconvénients pour chacune des parties impliquées. La désignation de salles de bain et de vestiaires « neutres », sans écriteau « genré » sur les portes, peut aussi être une solution. Lorsque le port d’un uniforme ou un code vestimentaire est imposé, l’employé devrait être libre de choisir celui du sexe qui lui convient le mieux dans la mesure du possible. Un code vestimentaire flexible et inclusif est souvent la solution. Aucun accommodement quant à l’uniforme ou au code vestimentaire ne devrait être fait aux dépens de la sécurité de l’employé sur le lieu de travail, cependant. Certaines absences pour rendez-vous médicaux peuvent aussi être à prévoir. Il est possible qu’un employé doive s’absenter pour des chirurgies d'affirmation de genre, des traitements hormonaux ou des thérapies. Le cas échéant, l’obligation d’accommodement s’applique, jusqu’à ce que ces demandes constituent pour l’entreprise une contrainte excessive. Il faut donc prévoir ces absences afin d’être en mesure de pallier celles-ci et, au besoin, adapter l’horaire de travail de l’employé en conséquence. Finalement, dans l’éventualité où un employé désire faire une affirmation de genre, il peut être pertinent d’élaborer avec cet employé un plan de transition. Essentiellement, un plan de transition est un document élaboré de concert par l’employeur et l’employé concerné afin de fixer les différents jalons de la transition de l’employé ainsi que les mesures d’accommodement qui seront nécessaires lors de ce processus. Les parties peuvent donc y prévoir, entre autres, la date de la divulgation de l’identité de genre aux collègues, la date du changement de nom dans les documents et registres de l’entreprise, les salles de bain et vestiaires qui seront utilisés par l’employé aux différents moments de sa transition, ainsi que les différents congés qui seront nécessaires à sa transition. En bref, l’essentiel pour un employeur en matière d’accommodement et d’inclusion d’un employé transgenre est d’être proactif et conciliant : il faut anticiper les demandes d’accommodement et les défis potentiels liés à cet enjeu pour être en mesure d’y faire face de manière efficace. Chaque personne a ses besoins particuliers et sa réalité bien à elle. Il faut donc toujours être à l’écoute et savoir s’adapter. Respect, confidentialité, ouverture d’esprit et collaboration devraient être les mots d’ordre guidant l’employeur dans ses différentes démarches. L’auteure tient à remercier Catherine C. Beauvais pour son appui dans la recherche et la rédaction du présent article.

Source : Revue RH, volume 20, numéro 4, novembre/décembre 2017.

Référence bibliographique

  • BAUER, Greta R. et Ayden I. Scheim, pour Trans PULSE Project Team (2015). Transgender People in Ontario, Canada. Statistics to Inform Human Rights Policy.

Une formation aux membres de la direction et une démystification auprès des employés est fortement recommander par l'organisme Trans Mauricie/Centre-du-Québec.


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